Les autres, j’veux dire par là, ceux qui restent loin d’ce monde, nous prennent pour des furieux. Des bandits, des hors la loi qui sème le trouble sur les routes. Ils peuvent pas comprendre. Les rodéos, c’est plus qu’une passion. Ça va au-delà de l’amour qu’on porte à son bébé à quatre roues, qu’on bichonne et qu’on améliore chaque jour un peu plus. Ça va au-delà d’la victoire. Quand t’es lancé à pleine vitesse sur l’bitume, tu penses plus au reste. Juste passer la bonne vitesse, au bon moment. Le bon coup d’volant, la bonne accélération, sinon t’es mort. Pendant une course, t’es le seul maître à bord de ta bagnole. Le seul qui peut décider des risques à prendre, d'la façon d'jouer avec sa vie en défiant la mort. Tu contrôles tout. On peut pas s’sentir plus libre que lorsque cette putain d’montée d’adrénaline vous prend aux tripes, et vous donnent envie de foncer, toujours plus vite.

« Alors Santiago, ça s’prépare pour ce soir ? »
« Ouais, mais ça s’prépare pour t’écraser mon lapin, fais gaffe à tes fesse, ça va chauffer. »

Le nez dans l’capot, j’donne le dernier tour de clef, et vérifie les câbles d’alimentation de la bouteille de NOS. Cette fois, on y est, j’crois que c’est la bonne. J’ai passé la journée à bosser sur ma RX-7, à suer tout c’que j’ai pu. Mais sérieusement, maintenant que j’vois le résultat, j’suis plutôt fière. Elle détonne, et pas qu’en apparence. Ce soir au moment de la course, elle risque de faire pas mal de dégâts.

L’après midi touche à sa fin. Les mains et les fringues couvertes de cambouis, j’range ma caisse à outil et ferme la porte du garage, histoire de garder mon bébé à l’abri. Au loin dans Jacarezinho, un coup d’feu retentit. Puis un deuxième. Les gens dans la rue ne lève même pas la tête. Personne se demande c’qui s’passe. C’est monnaie courante ici, on a l’habitude. Encore un règlement de compte. Ça s’passe toujours comme ça…

Vers vingt-deux heure, quatre bagnoles s’arrêtent en bas de chez moi. J’ouvre la porte, et les mecs vont directement s’affaler dans le canapé. Leandro, Dam, Raul et Jeferson. Les seuls auxquels j’me sois vraiment attachée, et qui sont comme des frères pour moi. C’est notre routine. Avant une course, ils viennent toujours boire une bière à la maison, et c’est toujours ensemble qu’on s’rend au point de rendez-vous. Comme une famille. Comme celle que je n’ai plus, depuis longtemps…

« Aller les gars, ça va être l’heure… »

Les bouteilles terminées, il est temps d’embarquer. Dam prend la tête de convoi, mais j’le double rapidement. On slalome entre les voitures qui freinent brusquement ou klaxonnent sur notre passage, mais on s’en fou, on continue. C’est notre p’tit jeu à nous, notre échauffement, avant un rodéo, et quand on arrive sur place, on est déjà chaud. Quelques amateurs se tournent sur notre passage pour admirer les caisses, mais j’y prête même pas attention. J’hallucine en voyant le peuple.

Tout l’monde est là. Tous ceux d’Rio qui connaissent le milieu sont venus pour assister à cette putain de course du siècle. Les sonos des bagnoles à fond, les poupées Barbie qui agitent bien gentiment leurs p’tits culs autour de leurs favoris, l’ambiance est d’jà à la folie furieuse. Sourire aux lèvres, j’enfile ma veste en cuir et m’avance. Ouais. Ce soir, ça va être d’la bombe...